"On retrouve dans le mythe le schéma tridimensionnel dont je viens de parler: le signifiant, le signifié et le signe. Mais le mythe est un système particulier en ceci qu'il s'édifie à partir d'une chaîne sémiologique qui existe avant lui: c'est un système sémiologique second. Ce qui est signe (c'est-à-dire total associatif d'un concept et d'une image) dans le premier système, devient simple signifiant dans le second. Il faut ici rappeler que les matières de la parole mythique (langue proprement dite, photographie, peinture, affiche, rite, objet, etc.), pour différentes qu'elles soient au départ, et dès lors qu'elles sont saisies par le mythe, se ramènent à une pure fonction signifiante: le mythe ne voit en elles qu'une même matière première; leur unité, c'est qu'elles sont réduites toutes au simple statut de langage. Qu'il s'agisse de graphie littérale ou de graphie picturale, le mythe ne veut voir là qu'un total de signes, qu'un signe global, le terme final d'une première chaîne sémiologique. Et c'est précisément ce terme final qui va devenir premier terme ou terme partiel du système agrandi qu'il édifie. Tout se passe comme si le mythe décalait d'un cran le système formel des premières significations. Comme cette translation est capitale pour l'analyse du mythe, je la représenterai de façon suivante, étant bien entendu que la spatialisation du schéma n'est ici qu'une simple métaphore:
On le voit, il y a dans le mythe deux systèmes sémiologiques, dont l'un est déboîté par rapport à l'autre: un système linguistique, la langue (ou les modes de représentation qui lui sont assimilés), que j'appellerai langage-objet, parce qu'il est le langage dont le mythe se saisit pour construire son propre système; et le mythe lui-même, que j'appellerai méta-langage, parce qu'il est une seconde langue, dans laquelle on parle de la première. Réfléchissant sur un méta-langage, le sémiologue n'a plus à s'interroger sur la composition du langage-objet, il n'a plus à tenir compte du détail du schéma linguistique: il n'aura à en connaître que le terme total ou signe global, et dans la mesure seulement où ce terme va se prêter au mythe. Voilà pourquoi le sémiologue est fondé à traiter de la même façon l'écriture et l'image: ce qu'il retient d'elles, c'est qu'elles sont toutes deux des signes, elles arrivent au seuil du mythe, douées de la même fonction signifiante, elles constituent l'une et l'autre un langage-objet."
Roland Barthes, "Le mythe, aujourd'hui", in "Oeuvres complètes I", p. 828-829.